Marche :
1)
Définition : District militaire établi dans
le voisinage d'un pays ennemi, et ayant à sa tête des margraves ou des marquis.
(TLF)
2)
Dérivés : adjectif « marchois »
(ou « marchais »)
3)
Étymologie : emprunt au germanique.
- ahd : marcha
- latin médiéval : marcha, marca :
limite, frontière (Du Cange, Niermayer)
- i.e. : *mereĝ-(IEW 738) :
bord, frontière
4)
Toponymie :
35
|
53
|
50
|
|
Marche
|
*Louvigné-du-Désert, 35162 (près
du Ruisseau français, qui marquait la limite entre la Bretagne et le royaume
de France – Foresta de Marchis en 1277). Bossard indique aussi, à Louvigné-du-Désert, un
ruisseau de Marcherel, affluent de la Glaine, Mascherel en 1412, Maucherel en
1588)
|
*Champgénéteux, 53053)
*Hambers, 53113(sur la
limite de la commune, qui suit le Ruisseau de Marche)
|
|
La Marche
|
*Le Pertre, 35217 (près de
la limite marquée par la Seiche. Non loin, une chapelle Saint-Léonard. De
l'autre côté, sur la commune de Méral, La Roche de Bretagne)
*Combourtillé, 35086
*Romagné, 35243 (tout près
du Couesnon)
*Javené, 35137
*Bais, 35014
*Bédée, 35023 (en bordure
du Garun – Marchia en 1334)
* Vezin-le-Coquet, 35353 (La Marche d'Olivet)
|
*Azé, 53014
*Peuton, 53178
*Louverné, 53140 (La
(Haute/Basse Marche)
*Désertines, 53091 (La
Marche Coin et La Marche-des-Alleux)
|
*Isigny-le-Buat, 50256
*Chavoy, 50126
*Le Tanu, 50590
*Hudimesnil, 50252
(Pour ces trois derniers, il s'agirait
plutôt d'une marche séparant le duché de Normandie)
|
Les Marches[1]
|
( Médréac, 35171)
|
*Brains-sur-les-Marches, 53041 (où un écart porte le nom du Ruisseau des Marches).
|
Questions :
1)
Peut-on considérer comme formés sur le mot
« marche », dans le sens de frontière :
-La Marcherie (Saint-Denis-de-Gastines, 53211 ;
Bourgon, 53040 ; Saint-Samson-de-Bonfossé, 50546) ;
-La Marcheraie (Saint-Jean-du-Corail, 50494)
-La Marcherais (Barenton, 50029)
-La Marchelais (Livré-sur-Changeon, 35154)
-La Marchelière (Saint-Pierre-des-Nids, 53246)
Ces toponymes sont formés comme des dérivés de noms de
personnes (Marche, Marchelier sont attestés) : peuvent-il donc être pris
en compte ici ?
2)
Peut-on confondre des toponymes de la série de
« Marche » avec ceux venant d'autres radicaux ?
- marchois, -ais, -ez,
-es, -is, désigne, en ancien français, un marécage. La forme remonterait à un mercasiu roman, dont le radical
viendrait du celtique continental (ou gaulois)[2].
C'est probablement elle qu'on retrouve dans Les Marchais à Torcé-Viviers
(53265) : Mercasum en 989.
Faut-il la voir aussi dans les
autres Marchais, comme ?:
- Le Bois-Marchais,
au Petit-Fougeray (35218), qui se trouve bien dans la zone des
Marches-frontières ;
- La Marchais à Loigné-sur-Mayenne (53136), dont la forme
féminine est curieuse.
- La forme marchis/marchix
est fréquente en toponymie, dans toutes les régions. Beaucoup semblent liés à
des lieux humides (cf. DTF). On trouve, en particulier, en pays gallo (Côtes
d'Armor, Morbihan, Loire Atlantique) plusieurs « Marchix » compris
comme des « marais »[3]
( Bourseul, Dolo, Jugon, Morieux, etc.). Ils remonteraient à ce même mercasiu roman et seraient en Haute
Bretagne les formes correspondant au breton markez qui désigne un
bas-fond[4].
En Finistère, le topon marc’h qui entre en
composition avec le topon pors (pas
un port mais une minuscule plage) dans Porsmarc’h et avec le topon Pen dans Penmarc’h, semble désigner des
lieux marécageux, ce qui remet en cause la traduction traditionnelle de Penmarc’h
par « Tête de cheval ».
- Il existe un autre marchis/marchix,
au sens de marché (marcié, marchié en ancien français, de mercatu). On connaît les Places du
Marchix à Dinan, Fougères, Vitré, etc. (formes anciennes : Marcheil en 1313 et 1540, Marcheiz en 1413) :
faut-il retenir ce sens pour des « Marchis/Marchix », en limite
d'agglomération, comme Le Marchis à Montsûrs (53161) ?
- La Marchée (Saulnières, 35321) a pour formes anciennes La
Mareschée en 1409, La Malleschée en 1460[5].
On peut donc logiquement penser à un radical de type *marisc-/maresc- désignant
un marais (cf. ci-dessous).
- Les Loges-Marchis (50) :
selon R. Lepelley, il s'agit bien du sens de frontière (« Les noms de
communes de l'arrondissement d'Avranches », in Cahier des Annales de
Normandie, vol. 23, 1990, p. 553). De fait, de « marche » a été
dérivé le nom « marchis », pour désigner le gouverneur d'une Marche,
terme auquel s'est substitué ensuite le terme « marquis »[6].
Il faudrait alors comprendre Les Loges-Marchis comme Les Loges du Marchis ou
Marquis
Toponymes
apparentés ?:
-Marchefarais (Mordelles, 35196 – Macheferaye en1427,
Machefraye en 1470, Maschefaraye en 1529, Marchefrais en 1601)
-La Marcheférière (Bazougers, 53025)
-Les Marcherues (Haute/Basse) (Martigné-sur-Mayenne,
53146 – Marcherru en 1397, Marcherou en 1443, Marcharue en 1669)
-La Marchandière (Jublains ) : de
Marcharderia en 1209 – ne semble donc pas être dérivé du nom de personne
(Le)Marchand
-Marchedayer
(Ruillé-Froifonts), altération de Marchederier (derrière la Marche) – cf.le
précédent ?
Récapitulatif :
-
Il aurait existé dans le fonds celtique un
radical *merc- désignant un lieu humide, radical qui est rattaché par
Pokorny à la racine i.e. *merk-, merĝ- (IEW739),
morschen, faulen, einweichen (pourrir, se gâter, détremper). Cette racine se
retrouve en latin dans les verbes marcere et marcescere[7]
(se flétrir, s'amollir), l'adjectif marcidus (flétri, pourri) et probablement dans les marc’h bretons ; on la
retrouverait aussi dans le roman mercasiu,
à l'origine de marchais, marchas ou marchis en ancien
français[8]
et de markez en breton[9].
-
L'occupation romaine a apporté un radical
homonyme : *merc-. Il s'agit de celui des mots merx
(marchandise), mercator (marchand), mercor (acheter), dont le
participe mercatus (mercatu)
a donné en français le mot marché (« marchié »,
« marcié » en ancien français, et avec un autre suffixe, -ilu,
« marcheil ») et Markt, market en allemand et en anglais. L'origine du radical latin est
obscure ; on pense à un mot étrusque, tout comme pour le nom de Mercure,
dieu du commerce.
- Le mot francique marisk, désignant le marais,
est passé en roman (mariscus en latin tardif, mariscu en roman) et a donné le mot français
« marais » (« marois »en ancien français) ainsi que le nom maraîcher et l’adjectif qui en dérive.
Il s'agit d'une autre racine i.e. : *mor-
(IEW 748) : étendue d'eau[10].
- C'est au IXe siècle que l'organisation de
l'Empire carolingien a introduit le mot « marche », au sens de frontière
(cf. plus haut – étymologie).
NB : les suffixes[11] :
- Le suffixe latin -e(n)se(m)
désigne l'appartenance. Il a évolué en -ois, devenu -ais. Mais après une
consonne [k] ou [g], qui se sont palatalisées, il est devenu -is. Il
était donc normal que *marche(n)se (« celui de la
Marche ») devienne « marchis ». Mais il y a eu des confusions
dans cette série, et, par exemple, bourgeois ou françois (français) auraient dû
donner *bourgis et *francis, d’ailleurs en breton,
bourgeois se dit effectivement bourc’his.
C'est pourquoi, à côté de « marchis », on peut trouver
« marchois ».
- En même temps, le suffixe germanique -isk
(latinisé en -iscus) a aussi évolué vers -ois/-ais, d'où les formes
« marois/marais ».
- L'ancien français avait un suffixe -eïz/-iz/-is
(issu du latin -aticiu)[12] :
les formes « marcheiz », « marchiz » ou
« marchis » sont donc équivalentes. Le suffixe -aticiu s'est
développé comme une sorte de doublet du suffixe -atu (de participe
passé). On peut donc reconstituer, à côté de mercatu
> marché, un mercaticiu > marcheïz, marchiz ou marchis.
Radical
|
Racine
|
||
Fonds
celtique (gaulois)
|
merc- (eau croupissante)
|
i.e. *merk-, merĝ- (IEW 739) : pourri, se flétrir, s'amollir.
|
mercasiu > marchais, -ois, -as, -is. (bas fond, eau
croupissante)
|
Apport latin
|
merc- (marchandise)
|
étrusque ?
|
mercatu
> marché
mercaticiu
> marcheïz[13],
-iz, -is
|
Apport
francique
|
marisk (marais)
|
i.e.*mor- (IEW 748) : mer, étendue d'eau
|
mariscu
> marois,-ais
maraîcher
|
Apport
germanique
|
marcha (bord, frontière)
|
i.e*mereĝ- (IEW 738) : bordure, frontière.
|
marcha
> marche
marchese
> marchis, marchois
|
Je me demande si les (certains ?) Margeride,
Marguerit(te) ne dériveraient pas aussi de la racine merc- (eau stagnante) ?

[1] On laisse provisoirement de côté la question des toponymes de
type : Trois Marches.
[2] Cf. Hervé Le Bihan, « L'hydronymie de la Bretagne... »
qui s'en réfère à B. Tanguy et à G.Dottin.
[3] G. Béchard, Les noms de lieux en pays gallo, Collège
breton – 1968.
[4] H. Le
Bihan, ibid.
[5] Bossard.
[6] Par analogie avec l'italien « marchese » selon
TLF.
[7] D'où le dérivé savant en français : immarcescible.
[9] Le DMF donne pour cette série la même étymologie que
« marais » : le francique marisk. N'est-ce pas une
erreur ? Phonétiquement, il est difficile d'expliquer
« marchais » par marisk...
[10] Elle a donné, en particulier, le latin mare > mer.
[12] Ce suffixe a sans doute valeur minorative car en corse
« porcaccio » qui semble être la forme évoluée de porcaticiu signifie « petit
cochon ».
[13] -z est, en ancien français, la graphie pour -ts.